“Madame 60 bis” de Henriette Valet (L’Arbre Vengeur, 2019)

Le catalogue des éditions de l’Arbre Vengeur fait partie de nos petits refuges personnels. Comme la musique en provenance du Japon pour tout afficionado d'un genre en quête de sensations fortes et de nouveautés. Piocher dans leurs livres semi-poches et découvrir de nouvelles plumes mais surtout des trésors du passé exhumés fait partie de nos petits plaisirs.

Dans "Madame 60 bis" de Henriette Valet, on y suit une femme sur le point d'accoucher qui se rend à l'Hôtel-Dieu de Paris, peuplé de femmes abandonnées, dans le besoin, de toutes origines et aux histoires aussi riches que diverses.

Mise à part la valse des infirmières, médecins, et autres internes, c'est bien des camarades de dortoir dont nous parle, avec une verve précise et empathique, notre héroïne. Femmes broyées, opprimées, écrasées, qui ne manquent cependant ni de répartie, ni de bonne humeur : un véritable bouillon de culture où on se laisse aller, loin des hommes et de leur regard. On se raconte, on se confie, on gueule, on murmure, on exprime librement ses passions et ses angoisses. On notera parmi les passages les plus marquants : le récit de vie d'une prostituée par la première concernée et la défense de sa condition ; l'analyse des désirs bourgeois des plus pauvres, qui déplore l'absence d'un mépris de classe avec lequel nous devrions renouer (coucou Nicolas Framont !) ; le traitement injuste de l'ensemble de la population française et l'illusion de liberté des unes au profit des autres ; la visite d'une femme de la haute société venant faire sa sainte et sa bonne action au milieu des plus démunies.

Loin de n'être "seulement" qu'un texte militant, "Madame 60 bis" est bien un texte littéraire au regard affuté et aux fulgurances splendides. Encore un morceau de l'Histoire du début du XXème siècle que l'on a pu malheureusement oublier. Encore une autrice majeure à la trajectoire malheureusement évaporée par ce foutu temps qui, définitivement, détruit tout. Alors vive Henriette Valet !

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