"Vois comme ton ombre s’allonge” de Gipi (Futuropolis, 2014)

Un de nos grands classiques du 9ème Art.

Comment résumer ce récit éclaté, cet amas de souvenir compacts : une célébrité internée pour schizophrénie après avoir été récupérée sur une plage, délirant ; un soldat lors de la guerre des tranchées qui envoie des somptueuses lettres à sa compagne... "Vois comme ton ombre s'allonge" c'est aussi le geste du ressassement. C'est le passé qui surgit dans le présent, qui l'habite, littéralement : les fantômes ne sont pas bien loin, ceux de nos aïeuls notamment. C'est un découpage cinématographique, sensoriel, où souvenirs, réalité, flashbacks s'enchaînent et se bousculent ; ce sont des apparitions fugaces et incandescentes qui jaillissent comme le souffle de vie que l'on reprend après une longue apnée dans les abysses.

"Vois comme ton ombre s'allonge" ce sont aussi et surtout des choix marqués en terme de dessin : du noir et blanc nerveux et des aquarelles aux teintes parfois ternes, parfois extrêmement chaudes. Tout dans cet oeuvre de Gipi est fait pour imprimer la rétine, les jeux de contraste sont maîtrisés à la perfection et jouent un rôle majeur dans le ressenti émotionnel. Il nous atteint au plus profond de notre Être, comme ça, en douce.

"Vois comme ton ombre s'allonge" est pour nous un sommet de la carrière de l'auteur italien qui signe ici une grande et belle oeuvre sur la condition humaine, la vieillesse, la vie, la mort, et ce que l'on s'inflige à soi-même et à son prochain pour vivre, survivre, voir de nouveau le soleil se lever au-dessus de l'horizon, ou au-dessus d'une station service.

Ce livre est un tourbillon enflammée qui se doit d'être vécu au moins une fois. Et dix autres ensuite, histoire de retrouver au sein des flammes, dans la boue et sous les néons des hopitaux, ce trouble intergénérationnel, ces stygmates du passé qui nous hantent dans lequel on peut avoir tendance, parfois, à se réfugier.

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