“Azucre” de Bibiana Cambia (Typhon, 2024)
Pris au dépourvu comme les éditions du Typhon avait réussi à le faire il y a deux ans déjà, nous voilà sans mots face à "Azucre", petit livre simple sur le papier, qui avance par chapitres à la manière de tableaux, mais qui regorge à chaque page d’un monde foisonnant, non pas forcément d’Êtres, mais bien d’émotions, de relations complexes et de liens tendus entre ses protagonistes au passé fouillé, travaillé, touffu, passionnant.
Premier roman de son autrice espagnole Bibiana Candia, "Azucre" est un tour de force qui ne se résume pas qu’à son histoire, signe des grands romans qui nous marquent. Il est bien question d’une bande de jeunes Espagnols démunis qui se lancent sur l’océan Atlantique pour rejoindre Cuba, un travail, un salaire et tenter de mettre la famille à l’abri de la nécessité.
Mais "Azucre" n’explore pas que les flots. Il excelle également dans sa narration à hauteur d’homme, de frêles recrues qui ont tout sauf le pied marin, navigant avec brio des individus au groupe, captant leur dynamique, examinant les intériorités de chacun, les liens, rivalités, passés qui les unissent ou les séparent, le feu bouillonnant qu’ils transportent en eux. Les tempêtes successives les placeront sur un même pied d’égalité : face au vertige épouvantable des vagues gargantuesques.
Aller de Charybde en Scylla n’aura pas eu meilleure illustration, ni meilleure conteuse que Bibiana Candia. Narratrice hors pair, prenant des airs de vieux loup de mer ou se drapant de belles lettres, elle donne à ressentir profondément les états d’âmes de ses héros, tout en distillant des images d’une force dingue, avec un regard en coin parfois goguenard, parfois empathique, qui force toujours le respect. Chapeau Madame ! Et merci à Claude Bleton et Émilie Fernandez de nous rendre le texte original dans un Français aussi savoureux.
Vous vous devez de lire, déguster, apprivoiser, approcher humblement « Azucre », un livre pour tout le monde qui ouvrira, nous l’espérons, des horizons.