“Tea Rooms” & “La femme à la valise” de Luisa Carnés (La Contre Allée, 2021 & 2023)

Luisa Carnés fait partie de ces autrices du XXème siècle que l’on aimerait plus reconnue, et dont nous faisons un devoir de défendre les écrits, amoureusement et férocement, jusqu’à la fin des temps. Vous dire que l’on tournait autour serait un bel euphémisme. Telle une toupie, un derviche tourneur indécis, un danseur breton tenu par le doigt par chacun de ses voisin·es, nous faisions trois pas vers Luisa avant de s’en éloigner de deux autres. Mathématiquement, et fatalement, la rencontre devait avoir lieu un jour ou l’autre.

Magnifiquement traduite par Michelle Ortuno, Carnés propose une littérature foncièrement sociale et politique, mais avant tout une littérature diablement bien ficelée, travaillée avec minutie, qui prend le pouls de son époque, à travers des personnages attachants, qu’elle habite avec beaucoup d’amour.

"Tea Rooms" nous immerge dans l’effervescence du Madrid des années 1930, où une jeune femme en recherche de travail se fait embaucher dans un salon de thé. Magnifique prétexte pour explorer les inégalités femmes-hommes, les rapports capitalistes, la condition prolétaire, mais aussi les rapports sociaux internes au travail, et même les mouvements émeutiers. L’autrice y fait montre d’un regard aiguisé et empathique envers ses personnages, à nous rappeler un autre livre que l’on défend avec amour : "Madame 60 bis" de l’autrice française, également de l’entre-deux-guerres, Henriette Valet.

"La Femme à la Valise » est un recueil de nouvelles écrit lors de l’exil de l’autrice au Mexique, en plein franquisme, où elle fait le portrait de personnages résistants, fiers, vivants, et déterminés. On ne rigole pas toujours, c’est même assez rare, mais chacun de ces petits écrits irradie de la force d’un espoir lumineux qui transperce la morosité grise de la résignation. Loin de se laisser abattre, Luisa Carnés cultive, certes à distance, un esprit frondeur, qui ne perd jamais son humanité face à la main de fer du fascisme qui broie tout sur son passage, et qui, parfois, se soulève et passe à l’acte.

Suivant
Suivant

“L’orage et la loutre” de Lucien Ganiayre (L’Ogre, 2015, 2024)