“Un Corps en trop” de Marie-Victoire Rouillier (Editions do, 2023)

"Un Corps en trop" est une œuvre unique qui a tout d'un classique contemporain. Une œuvre d'une force souterraine et insidieuse. Une forme qui semblerait inaccessible : celle du récit épistolaire… à sens unique. Les lettres d'une fille à sa tante, sa mère de substitution après que celle-ci soit morte en lui donnant naissance. 40 lettres pour les 40 jours du carême durant lequel cette tante se réfugie dans un couvent, sans contacts avec l'extérieur.

"Un corps en trop" nous met en présence d'une plume d'une puissance implacable qui avance lentement, telle une coulée de lave, "un grand charroi de glaise molle, emportant jusqu'à [son destinataire] le feu qui [la] dévore". De l'amour à la haine, du ressentiment à l'admiration, la rédactrice de ces lettres déclare sa flamme, maudit, s'ouvre, se met à nue. Mais ces lettres nous parlent aussi de l'amour, de l'amitié intense entre deux jeunes femmes, de moments volés au destin, d'instants arrachés à la fatalité, à la spirale que l'on pensait fermée, au chemin tout tracé dans lequel nos traumatismes semblent nous avoir guidé.

Se moquant de la religion et de l'amour recherché auprès d'un Dieu absent, c'est bien l'amour authentique, maternel, qui est invoqué ici. L'amour qui devrait se ressentir au quotidien, en dessous des masques. Un amour chaleureux que la narratrice ne trouva pas, remplacé par une apparence glaciale et une affection pieuse, bienveillante, qui met en cage, intimide et refroidit les cœurs sur son passage.

"Un Corps en trop" est un tour de force, un texte tragique à sa façon, qui n'est cependant pas dénué d'une beauté irradiante, quelque chose qui nous prend à la gorge et qui nous fait marcher dans les pas de son autrice. On pense à "Que les étoiles contemplent mes larmes" de Mary Shelley, en beaucoup plus lumineux, comme une lumière blafarde qui émane du plus profond de l'âme.

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"Ce n'est pas la résurrection éternelle dont j'ai besoin ; je veux seulement m'abandonner au cycle des jours et des saisons, et sentir, près de vous, la chaleur revenir après le froid, comme la lumière renaît de l'obscurité"

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